John Köhl est psychologue spécialisé en sexologie et troubles psychosomatiques (physiques et mentaux). Licencié de l’Université de Genève et diplômé de l’Université de Lausanne, il collabore activement avec les médecins du Centre de la prostate de Hirslanden Clinique des Grangettes et travaille également au sein du service de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). John Köhl répond à nos questions sur l’impact que le cancer de la prostate peut avoir sur la sexualité et le soutien qu’il apporte à l’équipe médicale et aux patients dans la gestion de la maladie.

1-    Le cancer de la prostate est une maladie qui a un impact important sur la sexualité et la santé sexuelle d'une personne. Quel est le moment idéal pour adresser un patient à un sexologue ?

John Köhl : Le moment idéal pour adresser un patient à un sexologue est après le diagnostic initial et avant le début du traitement. Il est important de préparer le patient aux effets secondaires du traitement et à l'impact psychologique du processus de réadaptation. Il est également recommandé d'inclure le partenaire du patient dans ce processus. L’évaluation de la fonction sexuelle du patient est nécessaire avant le traitement, car des difficultés sexuelles sous-jacentes peuvent être antérieures. Un dépistage préalable adéquat peut également faciliter l'orientation correcte du patient après le traitement.

2-    Les effets secondaires du traitement du cancer de la prostate peuvent entraîner une dysfonction érectile (DE). Comment soutenez-vous les efforts de l'équipe médicale pour traiter ces symptômes ?

John Köhl : Pour soutenir l'équipe médicale, j'utilise généralement un modèle structuré appelé Ex-PLISSIT. Il se compose de quatre étapes.

  • La première étape est P, qui signifie "permission". Souvent, les médecins spécialistes se concentrent sur la présentation du diagnostic et donnent dans le même temps des explications complémentaires sur les conséquences du traitement. Il arrive que toutes ces informations, qui changent la vie d’un patient, soient difficilement absorbables.
    La permission consiste alors à leur offrir un espace ouvert où parler de leurs préoccupations concernant la sexualité, le traitement et les effets secondaires en complément de la prise en charge médicale. Il est important de pouvoir leur donner la possibilité de s’exprimer dans un espace réceptif où ils ne se sentent pas jugés. 
  • Le niveau suivant du modèle est LI, qui signifie "informations limitées". Ce niveau, également connu sous le nom de psychoéducation, consiste à s'assurer que le patient comprend parfaitement le traitement et la rééducation qu'il va subir. Il est important de bien répondre à toutes les attentes et de clarifier celles qui ne seraient pas réalistes à ce niveau.

  • Le niveau suivant SS, ou « suggestions spécifiques », est constitué de suggestions post-traitements visant à aider le patient dans sa réadaptation. Il s'agit notamment de l’orienter vers des spécialistes pluridisciplinaires comme des physiothérapeutes du plancher pelvien, d’effectuer des exercices pour modifier les habitudes et l’activité sexuelle en s’appuyant sur la concentration sensorielle ou des suggestions de traitements pharmacologiques. 

  • Enfin, si des difficultés psychologiques sous-jacentes, telles que l'anxiété ou la dépression résistante, empêchent un patient d'accéder à une réadaptation optimale, le dernier niveau de ce modèle qui est proposé est IT, la « thérapie intensive ». Il s’agit d’un soutien personnalisé plus complet qui permet d’aborder tous les obstacles à l'engagement thérapeutique.

En résumé, mon travail consiste à aider l'équipe médicale par le biais de la psychoéducation, d'interventions destinées à faciliter le rétablissement de la fonction érectile et d'une thérapie plus complète pour les difficultés psychologiques sous-jacentes, telles que l'anxiété, la dépression ou le traitement problématique du deuil.

Je peux également aider l'équipe médicale à inclure le partenaire dans le processus de réadaptation et à résoudre tout problème de communication sous-jacent dans la relation. 

3-    Quels types d'obstacles ou de résistance rencontrez-vous lorsque vous traitez cette population de patients ?

John Köhl : Lorsqu'on travaille avec des patients qui viennent d'être diagnostiqués d'un cancer, qui viennent de subir un traitement ou qui sont confrontés à un long processus de réadaptation, il est important de se rappeler de nombreux aspects.

Les patients sont avant tout confrontés à des émotions fortes. Ils peuvent ressentir de la tristesse et du chagrin en prenant conscience des pertes subies ou ressentir de la colère à l'idée d'être obligés de faire des changements non désirés dans leur vie. Lorsque ces émotions ne sont pas traitées et intégrées, les patients peuvent ne pas avoir les ressources nécessaires pour se concentrer sur le traitement ou le processus de réadaptation.

Une autre source de détresse émotionnelle peut provenir de perceptions erronées du passé concernant la fonction sexuelle. Un patient peut penser qu'un diagnostic ou un traitement est à l'origine de la dysfonction érectile qui s'ensuit, alors qu'en réalité, la fonction érectile avait diminué progressivement avant le traitement. Il peut aussi y avoir des difficultés de couple antérieures qui conduisent à une réduction de la fréquence des rapports sexuels. Il est important de se faire une idée précise du passé afin d'avoir des attentes réalistes quant au résultat.

Un fonctionnement émotionnel antérieur peut également faire obstacle à un rétablissement complet. Les patients qui souffrent de niveaux d'anxiété élevés ou d'épisodes dépressifs fréquents peuvent se trouver mal armés pour faire face à un diagnostic de cancer, au traitement et à une longue réadaptation. L'anxiété de performance, l'auto-surveillance exigeante et l'anxiété d'échec sont associées à une activité du système nerveux sympathique qui a un effet inhibiteur sur la libido et l'excitation génitale. Les pensées automatiques négatives ou la catastrophisation, comme la peur du départ du partenaire, entraînent également un cercle vicieux d'anxiété, de honte, d'évitement et d'augmentation de l'angoisse. Les patients qui ont souffert de dépression sont plus vulnérables à la baisse d'énergie et au manque de libido que cette affection entraîne. Ceux-ci souffrent également de pensées négatives et d'un manque de confiance en eux, ce qui peut également affecter le processus de guérison.

La prise de conscience de ces obstacles est primordiale pour soutenir les patients dans ce processus difficile.

4-    Quelles autres interventions peuvent être nécessaires après le traitement du cancer de la prostate ?

John Köhl : Les principales interventions, si l'on se souvient du modèle EX-PLISSIT (Permission, Information Limitée, Suggestions Specific, et Thérapie Intensive), consistent à donner des informations fondées sur la science, à suggérer des exercices pour aider le processus de réhabilitation, et à travailler en thérapie intensive pour les difficultés sous-jacentes d'anxiété, de dépression ou avec un partenaire. Parmi les autres interventions psychothérapeutiques, nous pouvons citer la gestion de la tristesse et du chagrin liés à une perte le développement des capacités d'adaptation et la flexibilité cognitive. 

Parmi les exercices spécifiques qui favorisent le processus de guérison, nous pouvons citer la méditation de pleine conscience, la prise de conscience du moment présent sans jugement et le Sensate Focus, une technique qui met l'accent sur le plaisir du toucher.

Conseiller et accompagner le patient dans l'utilisation d'un soutien pharmacologique tel que les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 ou les injections intra-caverneuses est également une intervention utile.

Enfin, il est important d'entourer le patient d'un réseau de référence compétent comprenant, par exemple, des physiothérapeutes pour la thérapie du plancher pelvien, le biofeedback et les techniques de relaxation, et permettant un processus de réhabilitation sur mesure.

Propos recueillis par Ashley Machen